Gurdjieff International Review
G
urdjieff a enseigné que, dans la nature, tout est vivant et interconnecté au sein du vaste réseau de conscience et d’échanges conformes aux lois. Depuis sa mort il y a soixante-dix ans, les écosystèmes de la Terre ont été et continuent d'être de plus en plus perturbés et transformés par les actions dont notre espèce est à l’origine. Comment comprenons-nous cela et quelles sont nos responsabilités en ce moment ? Ce numéro de la Revue internationale Gurdjieff explore ces questions avec des contributions de divers points de vue, en commençant par des extraits d’ exposés et des écrits de Gurdjieff. Ensuite, qu’ils aient été oralisés ou écrits (pas nécessairement publiés), les autres articles suivent l'ordre chronologique.
La Grande Nature elle-même – « DU TOUT ET DE TOUT » – peut être considérée comme le grand thème et le point central des Récits de Belzébuth, un livre consacré à révéler et à éradiquer nos suppositions et croyances erronées la concernant. À maintes reprises, Gurdjieff insiste sur la présence de la conscience partout et à tous les niveaux de l'univers, d'une vie omniprésente qui soutient tout, nourrie et soutenue par elle, reliée à toute autre vie, en mouvement constant.
Ce qui a été rapporté sur les relations de Gurdjieff avec les plantes et les animaux donne un sentiment d'intimité et de communication directe. Il y avait le chien Philos, son « ami dévoué » dont les premières aventures sont décrites dans Rencontres avec des hommes remarquables. Plus tard, au Prieuré, il y eut des chevaux, des chiens et des chats, des poulets et des paons, et les fleurs pour lesquelles Gurdjieff chantait, comme le raconte Paul Beekman Taylor.
Sur le chemin de l'impartialité, Gurdjieff enseigne : « Aime ce que tu n'aimes pas. Il vaut mieux commencer par le monde des plantes. » Quant aux animaux, « ils attendent de nous que l’on évolue », comme l'entendit dire Kathryn Hulme.
L'image de notre relation avec la nature s'assombrit alors que Gurdjieff étudie la dégradation de la nature à notre époque. La Grande Nature, déclare-t-il encore et encore, considère chaque vie, qu'elle soit celle d'un oiseau, d’un serpent, d’un lion, d'un insecte ou d'un homme, comme également nécessaire à la création et au maintien de son réseau vivant infini. Pourtant, aujourd'hui, la Terre connaît une extinction globale de plantes et d'animaux qui dépasse de loin (et sans aucune intention sacrée) les sacrifices d'animaux déplorés par Belzébuth. Et nous pouvons ressentir sa douleur sous-jacente pour le sol sacrifié et mal utilisé de notre petite planète aux quelques « terres demi-mortes », dans les propos de Belzébuth sur l'insipidité des fruits qui ont perdu leurs propriétés nourrissantes.
Il nous dit que chaque vie a des responsabilités qu'elle doit assumer envers le Tout. Comme toute autre partie de la nature, nous n'avons pas d’autre choix que cette contribution fondamentale d'énergie quantitative, bien que nous, les humains, avons des possibilités supplémentaires que les animaux et les plantes n'ont pas. Ces possibilités ne peuvent être réalisées sans ce qui est à la fois obligatoire et volontaire – le paiement conscient de l'attention et du soin à tout ce que la nature a fourni au cours des éons de son travail de construction : le soutien réciproque. L’horreur de la situation continue – trop d'entre nous sont endormis à cette nécessité – et nos possibilités ne se réalisent pas. Et maintenant, les trésors vitaux de la planète sont en jeu. Les premières contributions de John Bennett et Annie Lou Staveley soulignent la préoccupation de Gurdjieff pour le maintien et le renouvellement de la vie planétaire.
Dans ce numéro, James George communique une conscience profonde et avertie de notre situation planétaire désespérée, renforçant les avertissements antérieurs de Mme de Salzmann. Jacob Needleman nous rappelle la responsabilité humaine essentielle, et pourtant négligée, envers toute la Vie. David Appelbaum écrit : « La beauté de la nature m'amène au rappel de soi... Lié par un devoir sacré, je reconnais le rôle à jouer dans l'entretien et la poursuite de la Vie avec un grand V. » L'histoire de Bill Dudley aborde la partie de la nature que nous appelons humaine, et son aspiration à être vraiment normale – une aspiration que le monde naturel de la Terre, du ciel et de l'eau soutient et défie à la fois.
La science d'aujourd'hui confirme que les animaux et les plantes sont intelligents, déterminés, conscients de multiples relations. De manière certaine, on nous montre l'irréalité des frontières artificielles qui protègent nos hypothèses de supériorité sur le reste de la nature. Les remarques de Gurdjieff sur les effets délétères d'un système de castes artificielles s'appliquent à nos relations avec les plantes et les animaux, comme Belzébuth le montre clairement lors de ses tentatives pour démasquer et faire diminuer les horreurs des sacrifices d’animaux. Ces séparations et distinctions inconscientes peuvent conduire, directement ou indirectement, aux horreurs indicibles des guerres planétaires qui hantent Hassin, et à la déperdition gratuite de précieuses énergies universelles que Gurdjieff met en évidence dans le chapitre sur l'électricité.
Malgré l'urgence de la situation, même les efforts prolongés et éclairés pour promouvoir la compréhension du public sur le sort de la nature trouvent une résistance et sont ignorés, comme l'atteste le rapport de James Elder « from the edge of the swamp » (la vie au bord du marais). Néanmoins, il y a une reconnaissance croissante, qui arrive très tardivement, de ces liens profonds : la compréhension que nous sommes redevables aux arbres pour chaque respiration que nous prenons, que la destruction d'une forêt entraîne un océan stérile, que la disparition des loups annonce la détérioration des rivières.
« Mieux vaut arracher chaque jour dix cheveux sur la tête de sa propre mère que de ne pas aider la nature. » Mais, qu'est-ce qui peut véritablement aider ? Bien que les êtres humains pensent souvent avoir une réponse, les preuves du contraire sont nombreuses : rivières polluées, forêts décimées ou en monoculture, sols appauvris. À ce stade de l'histoire de notre planète, nous commençons à réaliser que toute action que nous entreprenons peut avoir des conséquences imprévues, comme celles qui ont suivi le meurtre d'un rat de roche dans Le Mont Analogue de René Daumal. Pourtant, une attitude de prudence ne doit pas empêcher d'étudier activement, aussi directement que possible, les vastes connaissances de la Grande Nature, accumulées au fil du temps dans la chimie sacrée de la pellicule de vie organique, et toujours transmises, par les cultures indigènes à ceux qui sont capables d'écouter et d’agir avec respect conformément à ce qui a été entendu. Dans ce numéro, vous trouverez de brefs messages de l'une de ces cultures.
Membre de longue date de la Fondation Gurdjieff à San Francisco, Mary Stein est l'auteur de The Gift of Danger : Lessons from Aikido (2009) Berkeley : Blue Snake Books, et d'un roman, The First Year of My Death (2017) Popping Leaf Books.
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