Gurdjieff International Review

Cette « terre dérisoire » qui est la nôtre

Sortez la nuit sous un vaste ciel étoilé, et levez les yeux vers ces millions de mondes au-dessus de votre tête … Regardez la Voie lactée. La terre ne peut même pas être appelée un grain de sable dans cette infinité. Elle s’y dissout, disparaît, et avec elle, vous-même. Où êtes-vous ? Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Où voulez-vous aller ? Ce que vous entreprenez n’est-il pas de la folie pure ?[1]   –G. I. Gurdjieff

Carl Sagan

C

ette image de la Terre est l'une des 60 images prises par le vaisseau spatial Voyager 1 le 14 février 1990 à une distance de plus de sept milliards de kilomètres. Sur l'image, la Terre est un simple point de lumière, un croissant d’une taille de seulement 0,12 pixel. Notre planète a été saisie au centre de l'un des rayons lumineux diffusés du fait de la prise de l'image si près du Soleil. Cette image fait partie de la mission photographique finale de Voyager 1 qui a pris des portraits de famille du Soleil et des planètes.

Le point bleu pâle de la Terre

Nous avons réussi à prendre cette photo et, si vous la regardez, vous voyez un point. C'est ici. C'est chez nous. C'est nous. Là, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains qui ont jamais vécu, y ont passé leur vie. La totalité de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions, idéologies et doctrines économiques sûres d’elles-mêmes, chaque chasseur et butineur, chaque héros et lâche, chaque créateur et destructeur de civilisation, chaque roi et paysan, chaque jeune couple amoureux, chaque mère et père, enfant plein d'espoir, inventeur et explorateur, chaque professeur de morale, chaque politicien corrompu, chaque « superstar », chaque « chef suprême », chaque saint et pécheur dans l'histoire de notre espèce y ont vécu – sur un grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil.

La Terre est une toute petite scène dans une vaste arène cosmique. Pensez aux fleuves de sang versés par tous ces généraux et empereurs pour que, dans la gloire et le triomphe, ils puissent devenir les maîtres momentanés d'une fraction de ce point. Pensez aux cruautés sans fin que subissent les habitants d'un coin de ce pixel par les habitants à peine différents d'un autre coin, à leurs fréquentes incompréhensions, à leur désir irrépressible de s'entretuer et combien leurs haines sont ardentes.

Nos attitudes, notre propre importance imaginaire, l'illusion que nous avons une position privilégiée dans l'Univers, sont remises en question par ce point de lumière pâle. Notre planète est une tâche solitaire dans la grande obscurité cosmique enveloppante. Dans notre obscurité, dans toute cette immensité, rien n'indique qu’une aide viendra d'ailleurs pour nous sauver de nous-mêmes.

La Terre est le seul monde connu à ce jour à abriter la vie. Il n'y a aucun ailleurs, du moins dans un avenir proche, vers lequel notre espèce pourrait migrer. Visiter, oui. S’installer, pas encore. Qu'on le veuille ou non, pour le moment, la Terre est là où nous vivons.

Il a été dit que l'astronomie est une expérience d'humilité qui forge le caractère. Il n'y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie de la vanité humaine que cette image lointaine de notre petit monde. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de nous comporter avec bienveillance les uns avec les autres et de préserver et de chérir le point bleu pâle, le seul ‘chez nous’ que nous ayons jamais connu.[2] □

Jacob Needleman

L

a soif de connaissance d'un niveau supérieur, le désir du niveau de compréhension que l'on peut appeler sagesse, commence réellement à se réaliser lorsque nous nous tenons volontairement entre les vérités, entre les niveaux de vérité ; lorsque nous sommes réduits au silence entre la lumière et les ténèbres, la clarté et le mystère.

Ce qui signifie, en fin de compte, entre deux mouvements fondamentaux à l'intérieur de notre propre être, notre propre vie intérieure – entre le mouvement tourné vers l'extérieur de la découverte dans le monde et le mouvement tourné vers l'intérieur vers cette Source supérieure qui nous appelle en nous-mêmes.

Ce n'est qu'entre les deux que nous commençons à vivre dans l'élément invisible du sentiment qui peut nous rendre vraiment humains et nous offrir une compréhension vraiment humaine. Ce n'est qu'entre les niveaux de nous-mêmes que nous commençons à découvrir la signification de la Terre et de notre propre vie sur Terre.

Était-ce ce qui se cachait derrière l'émerveillement, la joie et l'humilité que nous avons ressentis lorsque nous avons vu la photographie de la Terre qu’a rapportée la mission Apollo 17 sur la lune ?

Avions-nous jamais rencontré un fait aussi mythique ? Une photo prise avec un appareil photo physique avait-t-elle déjà autant ressemblé à une révélation d'en haut ? La Terre n’avait-elle jamais été aussi visible et invisible à la fois ?

Sur cette photographie, lorsqu'elle parut pour la première fois, le fait et le sens sont devenus une seule et même chose. Le fait objectif et le sens objectif ne firent plus qu'un – le premier dans l'espace physique, le second dans la conscience de la présence intérieure, ce qui est le sens même, sans paroles, sans forme.

Et pourtant, il y avait forme, image, fait. La Terre ronde était vivante, respirante, tridimensionnelle – c'est-à-dire que la vraie Terre existait. La vraie Terre avait un être, était, au-delà de toute interprétation. Un immense objet vivant, en même temps énorme et minuscule. A la fois ancien, massif et tout puissant, et pourtant suppliant d'être soigné et choyé.

La Terre était vivante et nous tous, presque chacun dans le monde, la sentait comme si elle était en vie, avec un sentiment qui venait du centre inconnu de notre propre Terre – notre propre corps, notre propre réalité organique. Sans beaucoup de mots, nous avons vu au même moment, que nous, les êtres humains, l'humanité, sommes à la fois de la Terre et, avec cette qualité de regard, d’au-delà de la Terre. Et ici, les vastes étendues invisibles de l'espace lui-même ont été ressenties comme des symboles du Vide pur et infini, comme le créateur-conscience qui définit l'Homme, ce que les anciens appelaient « l'Homme microcosmique ».

La Terre vue d'Apollo 17 en 1972

Cette photographie de la Terre entière a encore ce pouvoir – parfois, lorsque nous sommes devenus un peu plus calmes, un peu plus sérieux, un peu plus libres de la peur et du désir, nous pouvons presque la voir respirer. Un grand être sensible respirant le même air que nous, recevant les mêmes émanations et radiations du Père Soleil et de Son univers enveloppant de mondes célestes tournant dans un temps mesuré en éons ; des mondes naissants et se dissolvant dans le Vide inconnu, le vide fertile qui est la source de tout ce qui se forme et se manifeste, et de tout ce qui se dissout et revient aux origines.[3] □


[1] G.I. Gurdjieff, Gurdjieff parle à ses élèves (1995) Editions du Rocher, p. 81.

[2] La photographie « Le point bleu pâle de la Terre » a été prise par le vaisseau spatial Voyager 1 alors qu'il passait par la planète Saturne en 1990. Plus tard, lors d'une conférence publique à l'Université Cornell en 1994, Carl Sagan a présenté l'image au public et a partagé ses réflexions sur le sens profond de la photographie.

[3] Jacob Needleman, An Unknown World: Notes on the Meaning of the Earth (2013) New York: Penguin Group, pp. 177–179.

 

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Version Française Traduite par :
     Equipe “Travail et Planète" (Institut Gurdjieff de Paris).

Featured: Numéro d'hiver 2019/2020, Vol. XIV No. 1.
Revision: July 1, 2024